Art/Graphic Director, touche-à-tout passionné par la communication et de la création graphique sous toutes ses formes, je m'installe à Paris en 2009. Je travaille dans les univers de la beauté (cosmétique, parfumerie, bijouterie), mais pas que… Art/Graphic Director, je réalise pour des particuliers et des entreprises des identités visuelles, des éléments de communication, des photoshoot et du conseil avec leur déploiement à 360°. Parallèlement à ça, j'occupe mon temps entre la peinture, l'écriture et surtout la photographie.

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couverture de l'article sur l'i-art

Les intelligences artificielles et leurs utilisations artistiques préfigurent de l’avenir de ces technologies, mais plus le temps passe, plus je m’interroge sur son intérêt. J’avais déjà abordé le sujet dans mon article concernant la paternité des images générées par IA. Aujourd’hui je m’interroge sur notre ressenti par rapport à elles.

L’IA et l’art

Une pluie de contenu

Les images générées par IA sont partout et l’on voit fleurir sur LinkedIn des “prompt ingeneer” qui revendiquent de faire réaliser aux IA leurs quatre volontés. Et ceux-ci, de ce que j’ai vu, se concentrent majoritairement sur la création de visuels (et parfois la rédaction d’articles).
Et il faut dire que les résultats sont bluffants.
Il suffit de regarder le travail incroyable de @brik.work de @reisingerandres ou de @matthieugb pour être convaincu de la beauté de ces créations numériques.

C’est magnifique, époustouflant, créatif, parfois original et souvent grandiloquent. C’est beau. Et pourtant, ces œuvres d’art générées par IA, quand je demande autour de moi, donnent systématiquement la même réaction : c’est impressionnant, mais ça ne suscite aucune émotion.

La perte d’intérêt

Ce constat est assez partagé, même par des personnes ne fréquentant pas les musées. Quelque chose en eux, en nous, ne résonne pas.
J’ai longuement réfléchi au pourquoi, et je pense que j’ai trouvé : inconsciemment, le fait que ce soit généré en quelques minutes par un ordinateur enlève de sa valeur à l’œuvre.

J’ai réalisé que ce qui donne de la valeur à une photo ou une peinture, c’est évidemment le sujet et la technique, mais en réalité, c’est surtout le temps, les moyens et les efforts que cela a coûté à réaliser.

Prenons exemple de cette réalisation de @mattieugb : je la trouve magnifique.

 

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Le corps, la lumière qui le caresse et le sculpte, le drapé soyeux du tissu, la peinture florale décrépie sur laquelle il se trouve, le jeu des couleurs…
… mais je ne ressens rien.

Si cela avait été l’œuvre d’un photographe, ce serait impressionnant. Inconsciemment, on se dirait :

– le photographe a dû faire un nombre important de boutiques pour trouver le bon tissu, de la bonne couleur, de la bonne matière pour avoir l’effet qu’il avait en tête,
– il a payé le tissu,
– il a sans doute élaboré son concept autour de la peinture qu’il a trouvée dans une brocante,
– ou la peinture est une commande qu’il a passée à un décorateur de théâtre de sa connaissance,
– il a acheté la peinture,
– il a réussi à installer et à gérer la lumière pour qu’elle frôle le corps,
– il a payé le spot ou le flash,
– il a son propre studio ou il a dû en louer un,
– le modèle a dû passer des heures à la salle pour avoir ce corps,
– le photographe a dû mettre du temps à trouver le bon modèle,
– il a dû mettre du temps à caler une date avec lui,
– il a peut-être payé le modèle,
– il a dû passer plusieurs heures à faire des photos avec différents tests et réglages,
– il a dû passer du temps en postproduction pour sublimer sa photo, etc.

Ce genre de photoshoot coûte du temps, de l’argent et une grosse organisation, au-delà de la créativité en elle-même.
Si ç’avait été le cas, on aurait, nous spectateurs, doté l’œuvre d’une aura bien différente.

Au lieu de ça, c’est un abonnement à une plateforme et des échanges de phrases qui ont permis de générer ça. Sans aucun doute que ce fut long pour arriver à ce résultat, mais cela ne dote pas la création de l’aura d’une réalisation unique, fruit du travail conjugué de personnes réelles.

C’est d’autant plus vrai lorsque les IA imitent la peinture. À n’en pas douter, un jour on imprimera en 3D des peintures d’IA pour simuler des coups de pinceaux et donner du relief ainsi que de la matière a ces créations numériques. Mais ça n’aura jamais le même impact sur nous qu’un Van Gogh original.

L’utilité évidente

Un gain de temps

Alors pourquoi faire de l’art avec les IA ? On a vu que c’était possible, que c’était beau et réaliste. Mais plus le temps passe, plus les gens sont habitués et moins ils réagissent.

Pourtant, les IA ont un réel intérêt dans les arts graphiques. Ou plutôt, dans le graphisme. Par exemple, cette semaine, j’ai fait la direction artistique d’un key visual pour une campagne de communication… qu’après j’ai dû décliner, entre autres, en 828 bannières (tuez-moi). Un travail laborieux, pas intéressant, chronophage et peu rentable. Dire à une IA : “voici le visuel clef, voici une déclinaison en bannière, merci de me faire les 827 autres avec tels logos partenaires et dans tels formats.“, serait très bien. Cela laisserait plus de temps pour travailler les concepts créatifs (et on en manque cruellement).

Les robots ont remplacé les ouvriers dans les usines, réalisant à leur place un travail fastidieux et dangereux. Une perte d’emplois évidente, mais une avancée sociale. Nous pourrions discuter des bienfaits de l’automatisation des chaînes de production au détriment d’un emploi humain, mais cela a eu lieu, nous ne pouvons revenir en arrière. Et c’est ce qui devrait se produire pour la création artistique : remplacer les tâches pénibles.  Et je suis très pour. Il faudrait juste corriger et rééduquer les clients et les équipes marketing : la libération de ce temps ne devrait pas permettre de faire plus de campagnes-kleenex, mais devrait permettre de faire de plus belles campagnes.
Sur un budget de 10 heures, au lieu de passer 3 heures en direction artistique, concept et création, puis 7 heures en déclinaison rébarbative, il faudrait garder les 10 heures de budget et répartir en 8 heures de création pour 2 heures de déclinaisons par IA.

Or, on voit plutôt la tendance à garder les 3 heures de direction artistiques et 2 heures de déclinaisons par IA pour des budgets 2 fois plus court… une erreur stratégique selon moi et une mauvaise utilisation des IA.

Étrangeté créative

Une autre facette de l’utilité évidente des IA, c’est de tirer bénéfice de l’étrangeté des créations générées. Plusieurs artistes utilisent cet aspect, n’essayant pas de copier le réel avec des prompts précis. Ils jouent sur le flou, l’interprétation algorithmique et le hasard des résultats. Le plus intéressant dans ces pratiques est l’utilisation pour la vidéo. De véritable petits bijoux de courts métrages utilisent cet effet, préfigurant un aspect onirique et éthéré. L’artiste utilise alors l’IA bien comme un outil, et non comme une fin en soi. Car il ne remplace pas la compétence d’un humain à faire de l’animation, mais il utilise l’étrangeté de la génération de l’IA pour obtenir quelque chose qu’un humain ne pourrait pas faire.
Des paysages qui mutent, des profondeurs de champs qui se distordent, des mouvements linéaires dérangeants, des visages qui tremblent et changent constamment tout en restant étrangement les mêmes… mais pas vraiment non plus… une sorte de malaise et de fascination apparaît…



 

Et après ?

Il est évident que l’on doit intégrer les IA aux processus créatifs et en faire un outil performant pour les designers. Le monde va vers les IA et il est idiot d’être contre. Il faut en épouser les contours, en définir les utilisations et en user à bon escient. Mais c’est encore cela le plus difficile : dans la course au temps et au profit, il ne faut pas perdre la valeur humaine. Or, le pouvoir est souvent aux mains de gens qui en veulent toujours plus, au détriment des artistes et des créateurs qui dépendent souvent d’eux.

Alors n’oubliez pas : si vous ressentez une lassitude face aux œuvres d’i-art, visiter et donner de la visibilité aux comptes de photographes, de peintresses et de peintres. Installez-vous devant une œuvre du monde réel, contempler le talent des hommes et des femmes qui en sont à l’origine, savourez le temps qu’ils y ont passé pour vous offrir leur travail.

Jean-Côme

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