Art/Graphic Director, touche-à-tout passionné par la communication et de la création graphique sous toutes ses formes, je m'installe à Paris en 2009. Je travaille dans les univers de la beauté (cosmétique, parfumerie, bijouterie), mais pas que… Art/Graphic Director, je réalise pour des particuliers et des entreprises des identités visuelles, des éléments de communication, des photoshoot et du conseil avec leur déploiement à 360°. Parallèlement à ça, j'occupe mon temps entre la peinture, l'écriture et surtout la photographie.

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Nouvelle critique de film. Aujourd’hui, je m’attaque à Taekwondo de Marco Berger et Martin Farina. Un film qui a déjà fait parlé de lui, et pour cause, il date de 2016. Mais il revient régulièrement sur le devant pour ce qu’il raconte et son approche particulière, souvent ignoré, des rapports sociaux entre homosexuels et hétérosexuels.

 

Une bande-annonce trompeuse

La bande-annonce avait l’air gentillette, je n’en attendais pas grand chose. Le film prend place en Argentine, un été. Ce sont les vacances, et l’on rencontre German (joué par Gabriel Epstein) qui arrive chez Fernando (joué par Lucas Papa). La maison est grande, avec piscine et terrain de tennis. Je trouve l’ambiance promise par la bande-annonce. Puis soudain, à 3 min 30, le film cadre un pénis. Là, comme ça, brutalement. Bien centré, en gros plan, coincé entre deux cuisses imposantes, les mains décortiquant une orange. Je suis très mal à l’aise. Je détourne instinctivement le regard. La bande-annonce ne m’avait pas préparé à ça ! Pourtant, du nu frontal, on en a de plus en plus dans les films. Mais ils servent un but, une image plus proche du réel. La nudité est rarement le but en soit, plus un prétexte. Le film nous dit que oui, on ne fait pas l’amour en soutien-gorge, que oui, quand on sort du lit ou qu’on prend une douche, on peut être nu. Et surtout, il n’y a pas de gros plan, mais plutôt un plan large. Là, non. Le plan semble gratuit et hors propos. 

La bande-annonce est donc, de ce point de vu, assez trompeuse. Mais, en même temps, il est normal qu’on ne puisse pas voir de nudité frontale sur des bandes-annonces grand public. Soit. Mais là où elle est également trompeuse, c’est que je m’attendais à quelque chose proche de l’Auberge Espagnole de Cédric Klapisch. Mais finalement, ici, le film est très lent, plein de silence et de scènes sans intérêt notable. Si, dans les films suédois, experts du genre, c’est souvent prétexte à des plans d’une grande beauté ou d’une grande douceur, ici, non. C’est un huit-clos, oubliez les paysages grandioses. On s’ennuie presque. Entre deux plans où il ne se passe rien, on a droit à des dialogues qui n’apportent rien, du genre de ceux que l’on a nous même entre amis.

Et pourtant, une fois le film fini, il laisse une impression étrange…

Un film lent où il ne se passe rien…

 

De quoi s’agit-il ?

Quelle est cette impression qui grandit au fur et à mesure du film ? 
Attardons-nous un instant sur la forme.

Tout se passe durant des vacances d’été. Mais l’été n’est pas le sujet. Il n’est pas un personnage à part entière comme dans Call Me By Your Name, où avec ses couleurs chaudes, on devine à chaque plan un ardent soleil plombant le paysage, mettant les personnages au ralenti, cherchant constamment l’ombre et la fraîcheur. C’est dans la moiteur de cette chaleur sèche et de ces couleurs que le film Luca Guadagnino distille brillamment son érotisme. Les corps transpirent, les vêtements s’entrouvrent, on peut presque sentir les phéromones issues de la sudation se propager hors de la pellicule. Ici, l’approche est plus frontale. L’image n’a aucun traitement particulier, presque froide, une mise en scène classique et brutale sans subtilité, qui va montrer l’été via des personnages tout le temps dénudés, cadrant sans complexe leurs anatomies intimes. Elle nous hurle littéralement au visage. Impossible d’échapper à la vision d’un sexe, d’une fesse, de la peau offerte, et ce, malgré des situations qui n’ont, en elles-mêmes, rien d’érotique. On a envie de dire au cadreur : “Mais on s’en moque, cadre les visages voyons, ça n’apporte rien !” Et pourtant, ça apporte. C’est même le nœud du film…

Une direction artistique assez pauvre.

Mais avant d’aller plus loin, revenu un peu sur le fond.

L’histoire raconte donc, des vacances, celles de German. Ouvertement gay, il est invité par un de ses amis du taekwondo, qu’il semble très mal connaître. Ou en tout cas, pas en dehors du sport qu’ils pratiquent. Ils n’ont donc, de toute évidence, jamais parlé de leur sexualité. Mais Fernando semble l’intéresser, et il accepte de venir passer quelques jours en vacances chez lui, pour tâter le terrain. Et il se retrouve soudainement, en pleine canicule, dans une maison où vivent au moins 7 autres hommes, tous hétéros. De fait, étant entre hétéros, chacun se balade nu, comme dans un vestiaire de sport, sans pudeur ni arrière pensé. 

C’est dans cet univers que se retrouve propulsé le personnage principal. On comprend très vite, que tout le film va se jouer sur la sexualité de ce dernier. Un scénario plutôt classique finalement, sans grande surprise. Des hommes nus ou presque, parlant de tout et de rien, un gay au milieu. Le film semble aller nul part…

Une maison remplie d’hommes vivant presque nus, avec de nombreuses scènes de nudités.

Cependant, le film a une particularité : il n’y aucun scène homosexuelle dans le film (enfin si, mais ne divulgâchons pas), alors même qu’on passe presque tout le film à se demander quand ça va arriver, quand ça va “déraper”, quand les esprits vont s’échauffer, quand, il va enfin, arriver quelque chose.

Je m’attendais à :
Étape 1 – Situation Initiale : un homosexuel avec plein d’hétérosexuels.
Étape 2 – Élément Perturbateur : ivre, il y a un rapport sexuel ou en tout cas un rapprochement.
Étape 3 – Péripéties : refus, dénis, homophobie, coming-in…
Étape 4 – Résolution : regrets, coming-out, déclaration d’amour, etc.
Étape 5 – Situation Finale : couple gay et happy end.

Que néni ! Il ne se passe rien. Ou plutôt on passe de l’étape 1 à la 5 sans toutes les autres. Bon ok, là je divulgâche, pardon… Mais cette fin était attendue non ? Alors, de quoi parle le film… ?

 

L’art du malaise

Malgré ses défauts, c’est un film à voir. Encore plus : c’est même un film que les hétérosexuels devraient voir. De fait, le film évite un écueil facile. Lorsque je raconte l’histoire plus haut, oui, on devine les grosses ficelles du scénario. Et pourtant, si le film n’a aucune subtilité de montage ou d’écriture, c’est dans ce qu’il ne montre pas qu’il prend tout son sens. 

Il explore quelque chose de méconnu pour le plus grand nombre : le profond malaise que peut ressentir un gay dans une situation anodine hétéronormée. À chaque instant du film, et de façon de plus en plus forte, on ressent le malaise de German. Il est gay, personne ne le sait, et on lui met devant les yeux à longueur de journée des sexes d’hommes. Il passe tout le film à essayer de regarder ailleurs, à essayer de ne pas y penser, à camoufler sa gêne. Il se fait violence tout du long. On pourrait croire que ça serait une situation rêvée pour un gay, mais c’est, au contraire, la pire des situations. Être toujours sur ces gardes, être incapable de plaisanter sur le sujet, ne pas savoir interpréter les actions des autres, faire attention à n’avoir aucun geste ou regard déplacé qui pourrait mettre en colère l’hétéro, quand bien même c‘est ce dernier qui lui poserait la bite sur le front pour rigoler. 

Et c’est une réalité que tous les gays ont connu, dans des vestiaires de sport par exemple. Adolescent ou adulte, assumé ou non, cela ne change pas grand chose. Le malaise est toujours présent, la peur de faire une gaffe, de provoquer un malaise par sa simple présence. Parce que la question se pose tout le long du film : agiraient-ils comme ça s’ils savaient ? Les hétéros se sentant soudain épiés ou objet de désir ? Quand bien même, ça ne serait pas le cas ?

Parce que là est le problème : même si German n’est pas intéressé par eux, qu’il n’éprouve aucune attirance pour eux, qu’il s’en moque qu’ils soient à poil… agiraient-ils différemment ? Il ne le veut pas. Non par concupiscence, mais parce qu’il ne veut pas les gêner, les brider, et leur gâcher leurs vacances. Donc, pour ne pas que les hétéros soient sur leur garde, se cachent et se comportent différemment, c’est lui, qui est gêné, se cache, et agit différemment. Et je n’avais jamais vu cet aspect de l’homosexualité traité au cinéma. Très certainement, car cette violence, que les gays se font à eux-mêmes, est inconsciente et intériorisée. Moi-même, je l’ai ressentit, mais n’avais jamais mis le doigt dessus. C’est en ça que ce film est intéressant. Il met en scène quelque chose que les hétérosexuels ne connaîtrons jamais. Car cette situation n’est pas transposable : si, hommes et femmes se retrouvent nu, dans un contexte de naturisme, on sait que les corps sont désexualisés ; si c’est dans un autre contexte, on sait qu’ils sont sexualisés. La société est ainsi fait. L’homosexualité est un perturbateur, qui change les codes sociaux et le paradigme de la situation dans laquelle il évolue. Et cela même, non par l’action de l’homosexuel, qui ne sexualise pas plus que quiconque la nudité, mais par la réaction des autres. Le même film, avec les mêmes scènes, les mêmes discussions, la même nudité sans arrière pensée, serait possible avec que des personnages gays qui seraient amis (et donc, désexualisé). C’est ici, le mélange de deux sexualités, qui créé se malaise et la tension psychologique chez le personnage principale. 

D’ailleurs, je ne suis même pas sûr que les hétéros percevraient ce malaise et cette tension constante que ressent le personnage principal, en regardant le film. Il se demande sans cesse les attentions de son ami Fernando. Il lui fait des avances ? Oui ? Non ? Doit-il répondre ? Cette proposition de sieste dans le même lit, c’est un prétexte ou sans arrière-pensée ? 

German ne sait pas où poser les yeux, toujours regardant par la fenêtre lorsqu’il se retrouve en présence des autres dénudés.

Un avis mitigé

En réalité, voilà le problème que me pose ce film : je l’ai trouvé terriblement ennuyant, tout en étant viscéralement happé par le malaise étrange du personnage principal, le ressentant moi aussi. 
La plupart des articles parlent de la tension sexuelle et de l’érotisme des corps. Je ne suis pas particulièrement d’accord. L’érotisme est somme toute limité, je trouve. Les corps sont montrés, oui ; mais pas particulièrement esthétisés ou sublimés.
Quant à la tension sexuelle, elle est présente, mais à sens unique, ce que je traduis par le fameux “malaise” du personnage principal. Pour moi, c’est surtout ça le sujet du film : l’exubérance et la totale confiance des hétéros se baladant nu, car entre eux, provoque l’inhibition et le malaise de l’homo, alors même que ce dernier n’est pas dans le placard. 
Certains y voient une ode poétique de l’attirance qu’exercent les hétéros sur les homos. Je n’y ai rien vu de tel. German ne semble pas intéressé par eux, juste être à l’étroit. Il n’a d’yeux que pour son ami Fernando. C’est plutôt romantique de ce point de vue là. 

De coup, si je devais me positionner : à voir, mais dans un contexte de fin de journée. Vous en sortirez probablement fatigué, de part la lenteur de l’histoire et la tension que vous ressentirez également. Il sera temps d’aller au lit après… 









Jean-Côme

2 Comments

  • Fred

    15 novembre 2021 - 01:07 pm

    Il n’y a pas forcément violence lorsque l’on n’exprime pas ses désirs, bien au contraire, l’on peut tout autant se définir par le scrupule, même la honte, et non uniquement par l’univers de la praxis, de ce que l’on fait ou serait capable de faire. Albert Camus disait justement : « Un homme, ça s’empêche, voilà ce que c’est un homme, ou sinon… »

    • Jean-Côme

      17 novembre 2021 - 07:37 pm

      Un homme qui s’empêche, se fait violence, par définition. Réprimer ses sentiments, sa façon d’être et ses envies, est une violence envers soi-même. Après, effectivement, elle peut-être bénéfique. L’envie de tuer par exemple. C’est exactement ce dont parle Albert Camus, puisqu’il parle de la guerre dans cette citation tronquée.
      Mais c’est réprimé une envie en conflit avec sa conscience.
      Dans le film, il réprime ses envies à cause du regard de l’autre et de société. Ce n’est pas comparable. Car il n’y a rien de honteux ni de scrupule à avoir dans ce cas, mais il les vit à cause de la pression extérieur, non pas à cause d’un code moral personnel.

      Quant à se définir par le scrupule et la honte, je ne vois pas… ça mérite sans doute une conversation longue et alcoolisée qui durerait toute une nuit ! Ce que j’aime beaucoup faire !

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