On découvre seulement que E. Macron a changé la couleur du bleu du notre drapeau en 2020. La Constitution indique les couleurs de notre drapeau, les désignant comme bleu-blanc-rouge. La charte graphique n’étant pas plus élaboré que ça, contrairement à nos jours, elle ne comporte pas de nuancier avec le petit tableau de correspondance des couleurs. Pas de Pantone (celui-ci existe depuis 1962), ni de nuances CMJN ou RVB. Évidemment.
Les couleurs auraient pu être précisées par leur dénomination. Après tout, il existe des dizaines et des dizaines de termes pour désigner une couleur… bleu cyan, céruléen, cobalt, ciel, canard, Impérial, outremer, acier, glacier, sarcelle… blanc neige, cassé, coquille d’œuf, ivoire, écru, lune… rouge sang, sang-de-bœuf, cerise, lit-de-vin, grenat, incarnat, cramoisie…
Mais non. Juste bleu-blanc-rouge.
Leur interprétation est laissée libre, et le Président peut la changer à sa guise.
Quel est donc ce changement, et pourquoi ?
Un bleu Marine ?
Pas tout à fait. Il s’agit d’un bleu roi, pas marine. Le marine est moins saturé.
Aucun rapport, donc avec Marine Lepen comme j’ai pu le lire. D’ailleurs, pour rappel, l’extrême droite utilise une flamme tricolore, et la couleur du parti est généralement le marron (le bleu étant la droite classique, le rose la gauche, le rouge l’extrême gauche, le vert les verts).
Donc non, rien à voir avec l’extrême droite. Transformer le prénom d’une candidate en couleur, c’est faire un raccourci un peu idiot et simpliste. C’est un syllogisme foireux, même.
Ce bleu roi est un bleu plus martial et élégant, historiquement celui de la France.
La construction du drapeau de la France
Le bleu est le symbole de la royauté française depuis au moins Charles V (1338-1380) qui utilise la bannière de France contre les Anglais durant la Guerre de 100 ans : trois fleurs de lys d’or sur fond bleu “foncé”. Ce bleu devient le bleu de la royauté. Mais il laisse place au blanc, qui symbolisera la royauté, notamment avec Louis XIV. Le blanc (et or), symbole de pureté (lié à l’hermine, qui préfère mourir que de se souiller dans la boue, comme le témoigne Anne de Bretagne qui en fera sa devise). Mais le bleu reste dans l’écusson royal. Je ne suis pas historien, mais de ce que j’en comprends, bleu = le roi, blanc = le royaume de France.
Et pour cause, le bleu est un pigment extrêmement cher. Il n’y a donc guère que le roi qui peut se l’offrir.
En 1358, pendant la Guerre de 100 ans dont je parlais précédemment, le roi Jean le Bon est capturé, mais pas tué, et son fils, futur Charles V, ne peut donc pas régner officiellement et diriger les troupes.
Étienne Marcel (qui n’est pas qu’une station de métro parisienne), va en profiter pour se révolter contre le pouvoir, et ses troupes se coiffent de rouge et de bleu, bleu qu’ils piquent au roi pour montrer que le pouvoir ne lui est pas dû.
Pour la première fois, le rouge et le bleu sont associés entre eux et liés à la ville de Paris.
La ville de Paris, parlons-en.
Son drapeau, encore aujourd’hui, est bleu et rouge.
Le bleu, date de cette période, et se teinte d’une dimension religieuse. Car, cher, le bleu est également lié à la Vierge, l’Église étant assez riche, comme le roi, pour acheter du bleu. MAIS, car l’histoire est retorse, le bleu est également symbole de Sainte Geneviève (le genévrier ayant des baies bleues foncées, proche du fameux bleu royal). Et (il faut suivre), Sainte Geneviève est, au même titre que la Vierge, la Sainte Patronne de Paris (elle empêcha l’invasion de Paris par les Huns et contribua à la conversion de Clovis).
BREF ! Le bleu royal devient le bleu de Paris.
Pour le rouge, représentant la couleur du martyr du Christ et des martyrs de manière générale, il est la couleur de Saint Denis, Saint Patron de Paris (décapité sur le Mont des Martyrs, aka Montmartre) et de… bah de Saint-Denis.
Paris est donc, bleu et rouge.
Pendant ce temps, le blanc reste le symbole royal.
Pouf pouf, révolution française, le peuple encadre le roi, Paris encadre Versailles, le bleu et rouge encadre le blanc.
Voilà, vous savez tout. Historiquement, le bleu est donc un bleu profond, symbole de richesse et pouvoir (royale et ecclésiastique).
Le bleu roi
Ce bleu, avec cette dénomination, date officiellement de 1563. C’est de ce bleu que sont faits les uniformes du Régiment des Gardes Françaises, ayant pour rôle de protéger le roi (ils s’habillent donc de la couleur royale).
Il y a eu également des guerres-guerres de teinture, entre le bleu de Prusse et divers bleus datant de l’essor des teintures chimiques et artificiels. Mais cet article est déjà trop long.
Il y a plein de variantes du bleu roi selon les auteurs : bleu royal, bleu national, bleu empire, bleu de France… mais toujours lié au pouvoir. Pour d’autres auteurs, c’est la même couleur, qui a juste changée de nom pour coller aux régimes qui l’employaient.
Quoi qu’il en soit, c’est une couleur liée au pouvoir centralisé, mais également aux uniformes militaires. Un bleu élégant et martial. D’ailleurs, une variante a donnée le fameux bleu marine, qui habille toujours les uniformes de la marine française (d’où la difficulté de les différencier).
Pour faire synthétique :
- bleu roi : bleu profond et lumineux,
- bleu marine : bleu très sombre.
Le bleu du drapeau, de nos jours
Esthétiquement, je préfère ce bleu au bleu précédent.
C’était le bleu denim (d’aucuns diraient un bleu cobalt), du drapeau européen. C’est Valéry Giscard d’Estaing qui avait changé la couleur du bleu roi en bleu denim pour marquer l’attachement du pays à l’Europe. Quand les deux drapeaux sont côte à côte, c’est flagrant, symbolique, fort.
J’aime moins ce bleu, mais j’aime bien plus sa symbolique. Il remplaçait la symbolique martiale et au pouvoir centralisé, par une symbolique de paix, de relations diplomatiques apaisées, avec un pouvoir partagé, en harmonie. Il inscrivait pleinement la France dans le processus européen.
Alors, pourquoi E. Macron a-t-il préféré remettre le bleu roi traditionnel ?
L’Élysée a déclarée que la décision a pour but d’évoquer « l’imaginaire des Volontaires de l’An II, des Poilus de 1914 et des Compagnons de la Libération de la France libre ».
Si vous voulez mon avis, cette preuve encore d’un regard en arrière, de cette nostalgie déplacée, d’un repli sur soi (en opposition à l’union des pays européens, à la construction d’un futur commun), est symptomatique de cette époque. Et c’est très mauvais.
4 Comments
Patrick de La Morinerie
Well done (in French)!
Jean-Côme
Thank you (in French)!
Arthur
Top! Super boulot, d’accord avec toi le nouveau bleu est plus beau mais moins fort en symbolique, je trouve ! Dommage!
Jean-Côme
Oui, c’est vraiment dommage ! C’était clairement pas le bon moment…